lundi 19 mai 2014

Laïcité et cohésion sociale...

Malgré mes efforts d'objectivation et de fidélité aux propos tenus lors de ces deux jours, cette synthèse ne peut être totalement dénuée d'interprétations, pour profiter de la conférence dans son intégralité, commandez son enregistrement auprès d'Espoir FM ici 

A l'invitation d'AMARE, le sociologue Olivier Noël est intervenu dans le cadre des rendez-vous de l'égalité et d'une journée d'étude sur la prévention et la lutte contre les discriminations à Villeneuve sur Lot.

Suite au premier Rendez-vous de l'égalité au cours duquel nous avons interrogé notre rapport à la coopération dès le plus jeune âge, nous avons souhaité, lors de ce deuxième temps, interpeller la laïcité en tant que fondement de notre modèle de société.

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Laïcités & Islam : comment faire société commune ?
(Conférence ~ 6 Mai 2014)

Choisi conjointement par Olivier Noël et par l'association, ce titre veut rappeler que l'Islam -ou la prétendue appartenance à l'Islam- est une source régulière de discriminations.

Au fil des éléments historiques et sociologiques on aperçoit comment la laïcité, comme l'égalité, est une conception idéologique inscrite dans nos lois qui se manifeste de manière très divergente en fonction des acceptions que l'on en a.

Au delà du mot ''laïcité'' quelles conceptions diverses sont sous-entendues ?

Dans leur rapport « faire société commune dans une société diverse » Ahmed Boubeker et Olivier Noël sont allés à la rencontre d'un collectif de parents du Blanc Mesnil « sorties scolaires : avec nous ! » créé en conséquence de la circulaire Chatel du 27 mars 2012.


Si l'objet central de cette circulaire est de favoriser la coopération entre parents et institution scolaire, on constate qu'elle engendre l'impossibilité pour les mères de famille qui portent le foulard islamique d'accompagner les sorties scolaires de leurs enfants. Autrement dit cette directive produit des effets discriminatoires fondés sur un critère d'appartenance religieuse, elle aboutit à un renforcement des inégalités.

Cette forme de la laïcité n'est pas celle entendue au cours des siècles passés qui visait le bien vivre ensemble, permettant, par des dispositifs pratiques, la mise en œuvre de la liberté de conscience et de culte.
Cette approche prend de façon étonnante la forme d'un dogme, d'une orthodoxie, et entraine des formes de radicalisme à contrario de son acception la plus ancienne.

Dans cette situation où est l'intérêt supérieur, l'intérêt général, pour la société ?

Érigé en tant que valeur universelle, le principe de laïcité aboutit à une conception instrumentalisée dont l'objet est de conclure que l'islam n'est pas compatible avec la République. Cette position devient aujourd'hui dominante et éloigne la laïcité d'une conception libérale, porteuse de justesse et de sagesse qui favoriserait une société inclusive.

Il est surprenant de voir sur cette trajectoire comment la liberté de conscience est repoussée au second plan...

Au final la circulaire Chatel illustre un mal régulier de nos politiques dites ''d'intégration'' : elles provoquent des effets paradoxaux. Il importe de réfléchir aux modalités nécessaires à l'élaboration d'une laïcité commune, comme il importe de penser les politiques publiques en règle générale avec les premiers concernés : les habitants.

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Lutte contre les discriminations & cohésion sociale
(Journée d'étude ~ 7 mai 2014)

Depuis les années 70, dans un contexte de montée du chômage plus importante chez les populations dites ''issues de l'immigration'' sont apparues des mesures spécifiques en faveur de l'insertion socio-professionnelle.

Notons pour réflexion que le terme ''population issue de l'immigration'' est rarement interrogé sur son sens profond !...

Si ces dispositifs répondent parfaitement à une quête de mise en application de notre modèle social d'égalité entre les individus, cependant elle connote une imputation de la responsabilité des problèmes vers les populations immigrées et leurs descendants exclusivement ; le modèle d'intégration à la française n'est, lui, jamais remis en cause.

Ce mécanisme rappelle les paradoxes du modèle égalitaire présents dès l'élaboration de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen : si l'égalité est posée comme postulat de départ, pour autant on s'empresse de créer des catégories qui en sont exclues. Le modèle est préservé dans l'illusion de sa perfection tandis que l'on incrimine les individus pour leur imperfection.
Qu'il s'agisse des femmes, des immigrés, des indigents ou de la jeunesse, les processus de minoration constellent l'évolution du concept d'égalité en France (Pour références les écrits de G. Le Bon, les Lois de 1934 sur la main d’œuvre nationale, les droits des femmes...)

De l'égalité conceptuelle à l'égalité effective

Le mécanisme de prise de conscience requiert du temps ; ce n'est que dans les années 2000, par exemple, que les effets persistants des Lois de 1934 seront évaluées alors que subsistent des pratiques qui nous semblent aujourd'hui impensables comme les annotations BBR (Bleu, Blanc Rouge), 01 (code INSEE pour une nationalité française), E (id. pour Européen) ou BYB (Blond Yeux Bleus) sur les offres d'emploi. Le droit à l'égalité ne demeure que conceptuel.

A partir de la seconde guerre mondiale les revendications féministes permettent un certain nombre d'avancées en France vers un droit 'légalisé', à commencer par l'égalité salariale.
Le traité de Rome fait ensuite beaucoup avancer l'égalité conceptuelle vers l'égalité légale, de nouveau par le biais de l'emploi.

Sur le plan des discriminations ethno-raciales ce sont aussi des avancées en dehors de nos frontières qui seront source d'évolution dans les années 70. Puis la marche pour l'égalité en 1983 tente de montrer qu'il existe une demande égalitaire profonde parmi différentes classes de la population. Cependant la réponse publique se situera dans la lutte contre le racisme exclusivement, particulièrement contre le Front National. Là encore les responsabilités sont imputées à des groupes de personnes non à un système porteur de son propre inégalitarisme.


En 1978 les procès fleuve de Gabrielle Defrenne en Europe vont accélérer la progression par le biais du Droit Européen, renforcée ensuite lors du sommet de Florence puis du traité d'Amsterdam. Un traité dont l'article 13 stipule que « le Conseil européen, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen est habilité à prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l'origine ethnique, la religion, les convictions, un handicap, l'âge, l'orientation sexuelle. » La transcription en Droit français de ce traité, ratifié en 1997 par la France, sera effective en 2001.

L'égalité devient un droit effectif, troisième dimension de son évolution.

Pour autant sont remis en avant les ''problèmes d'insertion, d'intégration, d'exclusion''... La législation insufflée de l'extérieur a du mal à être incarnée pleinement, elle est même déniée par certains aspects. La personne en situation de discrimination est prise en compte uniquement en tant que victime et au moment même où on reconnaît l'existence de victimes de discriminations, on présume d'une victimisation et on pose le postulat d'une instrumentalisation par les personnes elles-mêmes !

Le travail de conscientisation de ces mécanismes de résistance au changement passe par un déplacement de ce qui est moteur de l'action publique :

de l'initiative institutionnelle à l'implication des personnes concernées.

Afin d'illustrer, dans les grandes lignes, les travaux professionnels que nous avons menés durant la suite de la journée je citerais ici un extrait du rapport Noël/Boubeker :

Pour « refonder radicalement les manières de faire : il s'agit tout autant de
  • développer la participation et la représentation des citoyens dans les instances décisionnelles pour élaborer, suivre et évaluer la mise en œuvre des politiques publiques au niveau national et local.
  • Développer le partenariat et la co-construction entre acteurs locaux.
  • Développer des méthodes collaboratives associant les acteurs institués et les citoyens : débat public, conférence de consensus, forum citoyen, atelier citoyen, ... »

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19.05.2014 E.I.

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