Au début du film de Philippe Faucon, La désintégration (2011), on voit l’un des personnages, Ali, demander des conseils à sa sœur à propos du contenu de son CV. Il est élève en bac professionnel et n’arrive pas à trouver de stage malgré l’envoi de nombreux courriers. Il demande à sa sœur ce qu’il doit changer dans son CV pour l’améliorer. Elle lui répond, à moitié sur le ton de la plaisanterie : « ton nom ». Ce capital symbolique négatif qu’est le nom à consonance maghrébine conduira Ali, par dépit et frustration, à abandonner ses études et à se tourner vers l’intégrisme musulman.
La
situation évoquée dans ce film est l’objet de l’opuscule de Nicolas
Jacquemet et d’Anthony Edo, consacré à la discrimination à l’embauche en
France. On y trouve donc les problèmes d’insertion sur le marché du
travail rencontrés par les personnes issues de l’immigration, ainsi que
ceux des femmes. Les auteurs vont également croiser genre, origine et
maîtrise de la langue française.
Les
auteurs font un rappel de la notion d’intégration, en distinguant
l’intégration culturelle et l’intégration structurelle. Cette dernière
correspond à l’insertion dans les institutions – dont le marché du
travail – et s’avère nettement plus faible que la première en raison des
comportements discriminatoires à l’embauche. Il y a discrimination dès
lors que deux individus ayant les mêmes caractéristiques productives
sont traités de façon différenciée et inégale en fonction de leur genre
ou de leur origine, par exemple.
Les auteurs s’intéressent aux raisons qui sont invoquées pour expliquer la discrimination. Selon Gary S. Becker,
la raison invoquée est souvent celle des préférences en matière
d’interaction. Ainsi, les consommateurs vis-à-vis des employés, ou les
employés avec leurs collègues seraient enclins à interagir avec des
personnes non stigmatisées, ce qui conduit à la discrimination de ces
dernières (même si elles sont productives). Selon Arrow et Phelps,
en raison d’une information imparfaite sur les candidatures, les
recruteurs préfèrent se fier à des signaux issus de statistiques (sur le
nom, l’origine…), ce qui conduit à juger les individus non pas en
fonction de leurs caractéristiques personnelles, mais à partir de
moyennes statistiques.
Nicolas Jacquemet et Anthony Edo présentent ensuite leur étude, réalisée en Ile-de-France.
L’étude montre que les envois qui ont
reçu le plus grand nombre de réponses positives sont ceux qui
contiennent un nom à consonance française (1 pour 6), contre 1 pour 10
pour les noms à consonance étrangère. Il faut donc, pour ces derniers,
envoyer une fois et demie plus de candidatures pour obtenir un entretien
d’embauche. Les auteurs montrent donc de façon claire qu’il existe une
discrimination d’origine. La discrimination touche de façon sensiblement
identique les noms étrangers identifiables ou non, ce qui montre qu’il
n’y a pas une stigmatisation particulière des candidats maghrébins et
que la défiance d’origine privilégie les candidatures autochtones. Par
ailleurs l’enquête montre que même si les femmes bénéficient d’un
avantage à l’embauche de 5 points de pourcentage (donc discrimination
vis-à-vis des hommes), la discrimination sur l’origine existe malgré
tout pour les femmes. L’enquête confirme donc l’hypothèse d’homéophilie
ethnique, l’identification précise de l’origine ne faisant aucune
différence.
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